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Déclaration CNIL, biométrie

Biométrie : badgeage par empreintes digitales



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
1ère chambre
Section sociale

JUGEMENT
rendu le 19 avril 2005

DEMANDEURS

COMITE D'ENTREPRISE D'EFFIA SERVICES
FEDERATION DES SYNDICATS SUD RAIL

DEFENDERESSE

Société EFFIA SERVICES


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur VALETTE, Premier Vice-Président
Président de la formation
Madame LECLERCQ-CARNOY, Vice-Présidente
Madame TAILLANDIER-THOMAS, Vice-Présidente
Assesseurs

assistés de Karine NIVERT, Greffière


DÉBATS

A l'audience du 15 mars 2005
tenue publiquement

JUGEMENT
Prononcé en audience publique
Contradictoire
En premier ressort

Vu l'ordonnance du 6 janvier 2005 qui a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes du comité d'entreprise de la société EFFIA SERVICES et de la Fédération des Syndicats SUD RAIL et a renvoyé l'affaire à l'audience du 15 mars 2005 pour qu'il soit statué au fond sur le litige opposant les parties ;

Vu les dernières écritures du 14 mars 2005 des demandeurs qui sur le fondement des articles L.120-2, L.121-8 du Code du travail et la Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sollicitent de :

- dire et juger que le pointage par empreintes digitales mis en place par la société EFFIA SERVICES, système constitutif d'un traitement automatisé de données personnelles, porte atteinte aux droits et libertés individuels des salariés de l'entreprise et n'est ni adéquat, ni pertinent, ni justifié au regard de l'objectif d'établissement des bulletins de paye ;

- faire interdiction à la société EFFIA SERVICES de mettre en place le système de badgeage par empreintes digitales ;

- condamner la société EFFIA SERVICES à payer à la Fédération des Syndicats SUD RAIL la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession ;

- la condamner à payer à chacun d'eux une indemnité de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions d'EFFIA SERVICES aux fins de débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions, de prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir et de condamner chacun des demandeurs à lui verser 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

SUR CE

La société EFFIA SERVICES, filiale de la société SNCF Participations qui assure dans les gares SNCF, le portage de bagages, l'aide et l'assistance des usagers à mobilité réduite et l'accueil des passagers d'EUROSTAR a décidé de mettre en place au sein de l'entreprise un nouveau mode de gestion et de contrôle des temps de présence sur l'ensemble des sites de travail en réseau avec un lecteur biométrique utilisant la technologie des empreintes digitales.

Le fonctionnement de ce système comporte deux phases :

- l'empreinte digitale du salarié est mémorisée sur une carte à puce, correspondant à un numéro de badge dont la lecture est assurée par une badgeuse à la prise et à la fin du service;

- ce premier contrôle est validé en même temps par l'application du doigt sur un lecteur.

Les demandeurs soutiennent que ce système porte atteinte aux droits et libertés individuelles des salariés résultant des articles L.120-2, L.121-8 et L.432-2-1 du Code du travail.

La société EFFIA affirme que le système de pointage par badge est parfaitement justifié et proportionné au but recherché, dans l'exercice du pouvoir réglementaire dont dispose l'employeur dans l'entreprise.

Il n'est pas contesté qu'avant la mise en place du système un document de présentation a été remis au comité d'entreprise qui, ainsi que cela résulte du point 4 du procès-verbal du 21 avril 2004, a été informé et consulté, motif pris des nombreux problèmes liés aux décomptes des heures de présence, sujet notamment évoqué par l'inspection du travail en 2003 et qu'ainsi les dispositions de l'article L.432-2-1 ont été respectées.


La déclaration de traitement automatisé d'informations nominatives qui a été transmise le 25 mai 2004 à la Commission de l'Informatique et les Libertés comporte la mention selon laquelle le traitement en cause a pour but "la gestion des horaires et des temps de présence et la ventilation analytique des activités dans les centres de coûts".


En outre selon l'article L.121-8 du Code de travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être sollicitée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ; le courrier individuel adressé aux salariés le 25 novembre 2004 qui présente le nouveau mode de gestion et contrôle des temps de présence par badgeage à fin de permettre d'éviter toutes les difficultés liées à la gestion du temps, à savoir principalement les bulletins de paye erronés pour cause de feuille mal remplies, précise que "l'empreinte partielle est stockée uniquement dans la mémoire du lecteur. "


Il apparaît ainsi que les conditions préalables de mise en oeuvre du système en cause ont été respectées.


Cependant il ne peut être sérieusement contesté qu'une empreinte digitale, même partielle, constitue une donnée biométrique morphologique qui permet d'identifier les traits physiques spécifiques qui sont uniques et permanents pour chaque individu.


Son utilisation qui met en cause le corps humain et porte ainsi atteinte aux libertés individuelles peut cependant se justifier lorsqu'elle a une finalité sécuritaire ou protectrice de l'activité exercée dans des locaux identifiés.

En effet, selon l'article L.120-2 du Code du travail "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

Par ailleurs la Directive 95/46/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 considère "que les systèmes de traitement de données sont au service de l'homme ; qu'ils doivent, ..., respecter les libertés et droits fondamentaux de ces personnes, notamment la vie privée, et contribuerrr au progrès économique et social, au développement des échanges ainsi qu'au bien-être des individus ; et l'article 6 du Chapitre II intitulé : CONDITIONS GENERALES DE LICEITE DES TRAITEMENTS DE DONNEES A CARACTERE PERSONNEL stipule que "les données à caractère personnel... collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes doivent être... adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement."

Pour justifier la mise en place du système en cause, la défenderesse produit la lettre du 3 février 2003 de l'inspection du travail des transports qui constate que dès 9 H 20 le matin, les feuilles d'émargement indiquaient déjà l'heure de départ du salarié, ce qui ne permet pas de contrôler la réalité du travail effectif réalisé par les salariés ni de vérifier les temps de coupure repas.

Cependant par lettre du 19 novembre 2004 cette administration a précisé qu'il n'a pas été à l'origine de la mise en place d'une pointeuse à empreintes digitales qui relève du seul choix de l'employeur.

Il convient donc de rechercher si le traitement automatisé des données mis en oeuvre par l'employeur, se rapportant au début et à la fin de l'activité professionnelle des salariés tendant à améliorer l'établissement des bulletins de paye est justifié et proportionné au but poursuivi.

Or, il n'est pas prétendu par la société EFFIA que la seule mise en place d'un système de badge ne serait pas de nature à permettre de contrôler efficacement les horaires des salariés sans avoir recours à un procédé d'identification comportant des dangers d'atteinte aux libertés individuelles dont la nécessité n'est pas démontrée.

Il s'ensuit que l'objectif poursuivi n'est pas de nature à justifier la constitution d'une base de données d'empreintes digitales des personnels travaillant dans les espaces publics des gares de la SNCF, le traitement pris dans son ensemble n'apparaissant ni adapté ni proportionné au but recherché.

II y a lieu de faire interdiction à la société EFFIA SERVICES de mettre en place le système de "badgeage" par empreintes digitales.

S'il n'est pas contesté que la Fédération des Syndicats SUD RAIL a qualité à agir pour la défense des intérêts matériels et moraux du personnel et de l'intérêt collectif, elle ne caractérise pas l'atteinte portée à ceux-ci et sera déboutée de sa demande à ce titre.

La société EFFIA, sera condamnée aux dépens et verra sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile rejetée.

L'équité conduit en revanche à allouer à ce titre à chacun des demandeurs la somme de 1.500 euros,

L'exécution provisoire de la décision compatible avec la nature du litige doit être ordonnée.


PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire en premier ressort,

Fait interdiction à la société EFFIA SERVICES de mettre en place le système de "badgeage" par empreintes digitales ;

Déboute la Fédération des Syndicats SUD RAIL de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne la société EFFIA SERVICES à payer au comité d'entreprise d'EFFIA SERVICES et à la Fédération des Syndicats SUD RAIL la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) à chacun d'eux sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la décision ;

Condamne la société EFFIA SERVICES aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 19 avril 2005


Voir aussi :
- Article du 16 octobre 2005 sur l'utilisation de la biométrie : "La CNIL admet l’utilisation de la biométrie pour protéger les locaux sensibles mais pas pour contrôler les temps de travail des salariés"
- Article du 30 janvier 2006 : "Nouvelles décisions de la CNIL en matière de biométrie", par Me Alexis Baumann



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